Classement des Saint-Emilion 2012 : interview de Jean-François Janoueix

Interview de Jean-François Janoueix par Pierre Carbonnier

Paris Bistro : Merci à vous Jean-François Janoueix d’avoir accepté un entretien où seront évoquées les conséquences de tous ordres consécutives au classement 2012 des crus de Saint-Emilion. Paris-Bistro s’est volontairement tenu à l’écart des débats, jugeant mal-venu et inutile de jeter de l’huile sur le feu de polémiques qui ont abouti aux jugements édictés le 4 novembre 2021. Nous avons donc laissé les clameurs se taire avant de solliciter l’avis d’un sage. Vous passez pour l’être en pays libournais.

Jean-François Janoueix- C’est très aimable à vous de formuler un tel avis et, à vrai dire, je ne m’attendais guère à cela . La vie m’a appris que la sagesse dont vous me gratifiez ne doit pas être aussi reconnue que vous le dites. ( Sourires).Vous avez bien fait d’attendre que les esprits se calment. Ne comptez pas néanmoins sur moi pour rejeter le principe du classement des crus de Saint-Emilion.

Pas de juge et partie à Saint-Emilion : C’est un jugement qui a secoué le Saint-Emilionnais. Hubert de Boüard a été condamné le 25 octobre à Bordeaux à 40.000 euros d’amende pour son implication dans le classement 2012 des grands crus de Saint-Émilion. Ce classement avait promu son château Angélus au rang de premier grand cru classé « A » et récompensé huit autres propriétés pour lesquelles il avait travaillé comme consultant. Trois châteaux s’étaient portés partie civile invoquant notamment un classement truqué.

P.B. Cela n’entrait pas dans nos intentions. Diriez-vous pour autant, un peu à la manière de Rabelais, que les polémiques et procès engendrés par la proclamation des résultats du classement 2012 s’apparentent à « des débats dont furent faites grosses guerres » ?

J.F.J. Comme vous y allez ! Il y a un peu de cela, mais fort heureusement sans aucune mort d’homme. La justice a rendu son verdict. Respectons-le. Toutes ces polémiques ont eu pourtant quelques mauvaises conséquences . Je les déplore.

P.B. Lesquelles ? 

J.F.J. Les plus illustres représentants de Saint-Emilion, Ausone et Cheval Blanc, n’ont pas représenté de dossier pour le futur classement de 2022. Voilà une conséquence des plus négative. Elle résulte de ces chamailleries qui ont nui au prestige de l’appellation. Pendant un temps, dans tout le sud-ouest, il n’était question, chaque semaine, que du classement de Saint-Emilion. Et pourtant cela n’empêchera pas la préparation du dossier « Classement 2022 » alors que, vous le savez, il reste toujours un dossier administratif pour le classement de 2012.

P.B. Vous avez l’air de tenir bigrement au classement des vins de Saint-Emilion, non ?

J.F.J. Mais c’est tout à fait normal, et pas simplement pour des raisons économiques et financières dont nous pourrons parler. Je dirai, pour faire simple, que tout classement passe pour un guide, un repère. C’est très utile au consommateur. Il le consulte quand il le veut et ensuite rien ne l’empêche de faire ses choix après avoir prospecté s’il lui en prend l’envie. Il peut aussi se référer aux avis des journalistes du vin et des guides qui s’étalent en librairie. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre ce genre de choses…

P.B. C’est évident. Permettez-nous cependant d’insister : est-ce qu’un classement est gage de la vitalité d’une appellation ? Et si oui, pourquoi ? 

J.F.J. Bien sûr que oui ! Le classement, si l’on examine son existence sur le temps long, crée une sorte de synergie. C’est, de mon point de vue, très différent de la concurrence ordinaire qui, soyons réaliste, provoque parfois envies et jalousies. Regardez le célèbre Classement de 1855 né sous le Second Empire, dans le but, uniquement commercial, de présenter les meilleurs vins du Bordelais aux visiteurs de l’Exposition Universelle. Les courtiers- ce sont des hommes de terrain ne l’oublions pas – s’en sont chargé. Le classement a été voulu immuable. Pas de montées ni de descentes comme dans un championnat de foot. Qu’a-t-il suscité notamment en Médoc ? – Une saine émulation . Il y a eu, plus tard, l’émergence des Crus Bourgeois, et même à une échelle plus modeste, des Crus Artisans. Ces derniers ne se privent d’ailleurs pas de rappeler que dans le mot « artisan » il y a « art ». On peut bien s’en amuser. Reste que cela crée du mouvement. Le statique engendre l’engourdissement. Le mouvement c’est plutôt la vie.