Des filières courtes et un label pour remettre le gibier français au menu. 

Interview de Nicolas Rivet, directeur général de la Fédération des Chasseurs et nouveau membre de l’Académie de la Viande.

Alors que la France semble plus giboyeuse que jamais, peut-on espérer la mise en place d’une filière venaison française pérenne pour le grand gibier ? 

Nous sommes en plein paradoxe. Les agriculteurs et les forestiers demandent aux chasseurs davantage de prélèvements pour les dégâts causés tandis que la société civile réclame moins de chasse. Depuis 1973, le nombre de sangliers tués a été multiplié par 22 pour atteindre 842 000 bêtes en 2023. Les congélateurs des chasseurs sont pleins et il faut trouver des débouchés. 

Et pourtant, la plupart du gibier consommé pendant les fêtes vient de l’étranger. Ainsi 60 % de la viande de cerf* – en réalité beaucoup plus à notre avis – provient de Nouvelle Zélande où le nombre d’élevages de cervidés est très important. C’est une aberration. 

Quelles sont vos pistes ? 

Nous souhaitons développer des filières courtes.  Aujourd’hui si une société de chasse vend une carcasse elle doit la vendre entière « en peau ». Si c’est un boucher ou un restaurateur qui l’achète, il devra le traiter à part et ne pourra pas la stocker en chambre froide avec les autres viandes. Une des recommandations du rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) de décembre de 2021 est d’expérimenter la découpe en petits morceaux du sanglier. 

Nous travaillons sur cette piste avec la Direction Générale de l’Alimentation (DGAL) sur sept à huit terrains de chasse. En fonction des retours, nous espérons pouvoir nous appuyer sur ces expérimentations pour généraliser la pratique. 

Nous souhaitons également mettre en place un label pour signaler l’origine du gibier de chasse sauvage de France. Nous allons aussi créer un guide de bonnes pratiques des règles d’hygiène du gibier en collaboration avec des professionnels de la viande. De même, nous allons relancer une étude sur les qualités nutritionnelles de la viande de gibier et mettre en avant les qualités organoleptiques de cette viande.

Justement, il semble que le sanglier et le chevreuil ne se cantonnent pas aux seules cartes des restaurants chics mais qu‘ils reviennent au menu des bistrots ? 

On sent un frémissement. D’ailleurs deux ateliers de découpe viennent de se créer en Sologne. L’Atelier du Loup sur 1700 m2 (avec le concours d’Olivier Bertrand, n°2 de la restauration en France- NDLR) avec un objectif de traitement de 4000 carcasses et un autre atelier près de la Ferté Saint-Aubain. 

Vous travaillez également sur l’aspect culinaire, est-ce pour changer l’image du gibier ? 

Autrefois, on faisait faisander le gibier pour le conserver et bien des gens ont gardé l’habitude de consommer ces plats en sauce. Pourtant, il y a mille autres façons de travailler le grand gibier comme ces saucisses de cerfs ou ces chipolatas de sanglier ou encore en burger comme au Parc Astérix. 

On peut également le cuisiner façon Thaï avec des légumes. Notre défi est de parvenir à « de-saisonnaliser » cette viande.

Il y a enfin le prix ? Les restaurateurs comme les particuliers se plaignent parfois des prix pratiqués surtout quand on connait les prix extrêmement bas au départ de la chaîne. 

C’est là la dimension sociétale du gibier. Un sanglier de 50 kilos pour 50 euros c’est possible et c’est un succès comme on l’a vu récemment dans le Cher. Mais le problème demeure la découpe de la carcasse.  L’expérimentation de la découpe est donc à ce titre très importante. Tout le monde pourrait s’y retrouver en termes de pouvoir d’achat. 

*NDLR ; Le nombre de cerfs et de chevreuils a été multiplié par 11 depuis 1973. La multiplication des cervidés est une bombe à retardement pour le renouvellement des forêts puisque biches et chevreuils se nourrissent des jeunes pousses des arbres. (NDLR)