Jean-Claude Carrière est décédé le 8 février dans son sommeil à 89 ans. Scénariste, écrivain, parolier, génie humaniste sans œillères, il avait travaillé notamment avec Buñel, Godard ou Peter Brook. Son enfance de fils d’un vigneron languedocien de Colombières-sur-Orb, devenu patron d’un bistrot de banlieue en 1945 lui a ouvert deux univers : celui du vin et celui du zinc. Pas étonnant alors que ce grand touche-à-tout ait eu le sens du partage chevillé aux tripes.
Sa voix chaude et profonde avec cette pointe d’accent de troubadour occitan laissait filer des mots simples et une langue facile à comprendre même pour des sujets qui l’étaient moins.
Lézard, son premier roman écrit à 25 ans, lui avait été inspiré par le bistrot paternel de Montreuil (93). Il y passa les soirées de son adolescence à l’affût de ce monde pittoresque, de cette ambiance de piliers de comptoir avec ses jeux, ses histoires et ses chansons et parfois ses bagarres. Il y fit la connaissance de pointures, chacun dans leur domaine, Doisneau pour la photo et Django Reinhardt pour la gratte manouche.

«Il y a une mythologie de bistrot… Ce qui frappe… c’est l’espèce de solidarité qui réunit des gens qui ne se connaissent que là … Ils ne viennent pas là forcément pour boire mais pour retrouver des amis mais qui ne sont des amis qu’au bistrot. »
racontait ce jeune normalien en 1957 au journaliste Pierre Desgraupes lors de la sortie de Lézard.
Il décrivait aussi une galerie de personnages mythologiques du zinc sans oublier son héros, Lézard, incarnation de ceux nombreux à l’époque qui, selon lui, travaillaient au « coup de main » deux ou trois mois par an, avant de passer le reste de temps au café.

Jean-Claude Carrière était né un jour de vendange dans ce vignoble de l’Orb au pied du massif de l’Espinousse. Il a raconté cette enfance languedocienne dans un livre, le Vin Bourru, ce premier vin que l’on tire de la cuve et qui n’a pas encore fini sa fermentation.

Si on passait le doigt trempé de vin sur les lèvres des enfants pour qu’ils en prennent le goût, il n’était pas question de faire boire les enfants, expliquait-il sur France Culture. Boire un verre de vin rouge était plutôt un rite de passage à l’âge adulte chez ces petits paysans qui n’avaient que quelques arpents de vignes. Le vin étant réservé à la vente, ils buvaient d’abord de l’eau. Son évocation du rôle des béals, ces ruisseaux de pierre remontant aux romains et qui servaient à la redistribuer ne manque pas de faire réfléchir à l’heure du stress hydrique qui frappe les vignes languedociennes. «L’eau était fraîche, potable, il y en avait pour tout le monde. Elle s’est raréfiée pour des raisons que tout le monde ignore et polluée pour des raisons que tout le monde connaît. le vin en revanche est bien meilleur qu’autrefois.» Qui lui donnera tort ?