Robert Giraud, l’auteur du Vin des Rues

Interview d’Olivier Bailly auteur de « Monsieur Bob »

Comment avez-vous découvert Robert Giraud, qu’est-ce qui vous a séduit chez le personnage ?

Je lis beaucoup et Robert Giraud fait partie de ces auteurs mythiques issus de cette veine des chroniqueurs parisiens, comme René Fallet, Léon-Paul Fargues ou Francis Carco. J’aime son côté solitaire et indépendant. Son propos n’est pas de juger ses contemporains. C’était aussi un grand collectionneur qui connaissait tous les bistros de Paris, mais il était emporté par son sujet et n’arrivait pas à prendre de la distance, ce qui explique qu’il lui était très difficile de se mettre à écrire.

Son Vin des Rues, qui paraît en 1955, est une plongée dans le monde des clodos d’après-guerre ?
Oui, ils étaient bien plus nombreux que les SDF d’aujourd’hui, peut-être 20 000. Et ils se concentraient autour des Halles. Car ils pouvaient y trouver un recoin pour dormir, de quoi manger et des petits boulots. Avec son Vin des Rues, c’est à eux que Robert Giraud rend hommage.

Durant son emprisonnement à Limoges comme résistant, Robert Giraud côtoie des droits communs. Cela lui a ouvert les portes des bistros louches ?
Même si ce fils de bonne famille bourgeoise du Limousin avait déjà fréquenté les bordels de Limoges avant-guerre, Il n’était pas prédestiné à la vie qu’il a vécue. La prison l’a changé, au contact des droits communs il y a appris le code de bonne conduite du Milieu ce qui lui a servi plus tard dans certains bistros.

Votre ouvrage est aussi un hommage aux bougnats, comme ce père Fraysse de la rue de Seine, qui jouera le rôle de mécène de Giraud en finançant sa retraite en Bretagne pour qu’il puisse écrire son Vin des Rues ?
Bob a rendu hommage aux bougnats plus tard, quand il travaillait pour l’Auvergnat de Paris et qu’il les connaissait tous. Rue de Seine, le bistro du père Fraysse était certes un bistro de quartier, mais c’était un peu le haut du panier, il servait des bons beaujolais, car il était aiguillonné par certains de ses clients venus de l’Ecole des Beaux-Arts toute proche.

Justement, les années cinquante sont celles de l’arrivée du beaujolais à Paris, mais ce n’est pas le vin des rues qu’on sirotait dans les petits bistros ?
Le Beaujolais à Paris, c’est Marcel Granger de l’Académie Rabelais qui en a fait la promotion. Mais le vin des rues, ce n’était pas ça. C’était bien plutôt les productions vineuses de Bercy. Dans certains bistros, quand on les renversait, on épongeait et on essorait dans la carafe pour le servir à nouveau !

Monsieur Bob
Olivier Bailly –
Stock – collection Ecrivins
14,50€

Le vin des rues, un mélange de vins algériens et de vins languedociens mitonnés à la sauce du négociant de Bercy

Dans les années trente, le Parisien buvait environ 185 litres/an* dont 40 de vins fins, ceux qu’on classerait aujourd’hui parmi les AOC.
A l’époque des entrepôts de Bercy, les vins d’Algérie représentaient 40% et ceux du Languedoc, 40% (Hérault, Gard, Pyrénées Orientales). Certains négociants n’y allaient pas de main morte question coupage. A Bercy, on n’avait pas la main légère sur le sucre quand il s’agissait de produire des élixirs vineux. Ce n’est qu’au lendemain de la guerre, que le gros rouge a du faire peu à peu de la place aux crus du Beaujolais, eux-même concurrencés sur leurs terres lyonnaises par les côtes-du-rhône.

*Source Annales de Géographie 1939

Témoignage : Pas facile aujourd’hui de garder une « cloche » au comptoir.
«Dans le temps, nos anciens servaient le rouge ordinaire aux cloches. Ils le faisaient parce que les autres clients le toléraient. Peut-être qu’avant les gens avaient plus de cœur. Aujourd’hui, c’est quasiment impossible d’avoir au comptoir un type qui s’est uriné dessus et qui sent mauvais. Le risque c’est de perdre tous les autres clients » avoue Jean-Claude Noël, patron du Paris-Halles boulevard Sébastopol.