Olivier Cazenave, winemaker bordelais

Olivier Cazenave, natif de Libourne, a été acheteur de vins dans les années 90 pour des grands sites de ventes en ligne avant d’être vigneron à Bordeaux. Il a cédé ses parcelles pour devenir un winemaker produisant sa propre gamme depuis 2023. Ses cuvées de la rive droite de la Gironde-du bordeaux générique aux saint-émilion et pomerol- surprennent par leur style marqué tendant vers la souplesse et la gourmandise.  A l’heure où le bordelais est au fond du gouffre, la démarche de ce «Bordeaux maker »  comme il se définit lui-même ne manque pas d’interpeler d’autant que le bonhomme puise une partie de ses solutions en s’inspirant des anciens.  Interview. 

Winemaker à Bordeaux, c’est-à-dire ? 

Je travaille avec dix vignerons qui sont tous en bio. J’ai une idée précise du vin que je souhaite faire. Elle me guide dans le choix de la parcelle d’un vigneron. Soit je prends tous ses raisins soit j’achète un volume donné (5, 10 tonnes…). Ensuite, je vais suivre la cuvée et je fais mes jus chez le vigneron. Pour certaines « cuves » je fais livrer des barriques – comme à Pomerol que je mets en réserve. J’écoule quand je le décide, c’est le deal. Je ne fais pas de vins de château mais des vins de terroir. Il n’y a plus la grille du château sur l’étiquette mais les coordonnées GPS de la parcelle. On n’est donc pas dans le générique. 

On amène de la technicité et donc un regard différent sur le produit fini. On soigne les vinifications avec le choix des barriques et le recours aux staves – des douelles NDLR— que l’on plonge dans la cuve ou en barrique et qu’on brasse durant la macération. Et ce, sans filtration et sans soufre, sauf à la mise en bouteille- car je ne veux pas d’un vin nature incontrôlé.

Quel style de vins recherchez-vous ? 

Je cherche à faire les vins les plus sveltes possibles. C’est presque un changement culturel pour certains. Ils ne comprennent pas toujours, par exemple, nos macérations ultra courtes, de 10 à 15 jours. 

Vous passez pour un fou sur la place de Bordeaux ou un porteur d’espoir ? 

J’ai toujours été un trublion quand j’étais vigneron et que je faisais des vins  atypiques avec des cabernets francs en solera (assemblage de vins d’années différentes-NDLR) ou des muscadelles 100% avec trois ans d’élevage.  Aujourd’hui que je suis parvenu au stade de la maturité. Pour moi la qualité prime sur la singularité.

Dans la situation d’aujourd’hui, ma façon de travailler fait partie des solutions qui peuvent permettre à Bordeaux de rebondir. C’est vrai pour les vignerons à qui j’apporte de la trésorerie et que je paye mieux de 15% à 50% – selon les appellations- que les cours actuels. Mais je leur fait aussi découvrir d’autres façons de faire. Par exemple on embouteille plus tôt.

Quelles sont d’après vous les causes du marasme actuel de Bordeaux ?

A Bordeaux, 60% du volume des vins passaient par le négoce, mais les négociants ne relayaient pas les infos sur les réactions et les attentes de consommateurs. Contrairement à la Bourgogne ou en Champagne où il y a  toujours eu des négociants-éleveurs à l’écoute du marché. 

Ce n’est pas propre à Bordeaux. En France et en Italie, on eu parfois tendance à oublier le client à force qu’on nous dise que nos vins étaient très « beaux ». Du coup, on s’est déconnecté du marché.  En Bourgogne aussi cela risque de secouer car les prix sont montés trop haut. 

Mais il y a eu de bonnes réactions comme la nouvelle AOC bordeaux Claret autorisée cet été par l’INAO (à ne pas confondre avec le clairet rosé). C’est un rouge frais, peu intense et gourmand qui peut très bien marcher à l’export. 

Quid des bordeaux blancs ? 

Il va y avoir beaucoup de replantations en blancs car la demande est là. Il suffit de regarder le Médoc qui a créé une appellation blanc tranquille comme dans l’Entre-deux mers d’ailleurs où l’on replante.

Le bordeaux que l’on fait aujourd’hui ne date que des années 90. Dans l’entre-deux guerres, bordeaux, c’était 70% de blancs alors qu’aujourd’hui on est à 80% de rouges. A Saint-Emilion, il y avait 15% de raisins blancs plantés mais ils passaient en rouge, afin de créer des vins plus ronds et plus aimables. Il y avait aussi du chenin dans le blayais présent dans le décret de l’AOC jusqu’en 2009. Il a été supprimé. 

Je ne suis pas un disrupteur mais un rénovateur. Quand on « gratte » un peu on voit bien que les anciens savaient où planter. En tout cas, pas sur le haut des plateaux comme à Saint-Emilion où il n’y a plus un bois. Alors qu’en Bourgogne, ils les ont gardés. On a trop planté même dans des endroits inappropriés. On a trop de vignes, il faut qu’on divise par deux la surface. Mais il faut que les agriculteurs retrouvent des ressources. Cela passe-t-il par une polyvalence ? J’ai vu des domaines italiens qui font aussi du maraîchage et des oliviers, cela permet d’amortir les chocs quand la situation est difficile sur un secteur.